Terre de Blues : un festival international de la Caraïbe francophone #SDE
En ce début de mois de mai 2017, les navettes bondées quittent la gare maritime de Bergevin en Guadeloupe en direction de l’île de Marie-Galante à un rythme soutenu.
Pendant le week-end de Pentecôte, le festival Terre de Blues fait plus que doubler la population de l’île qui compte alors 12000 habitants pour 13000 à 15000 festivaliers.
Tout comme la Route du Rhum et la Karujet, le Festival Terre de Blues est une manifestation de grande envergure, à l’image forte et à la portée internationale.
C’est l’une des raisons pour lesquelles la Région Guadeloupe a rejoint l’organisation en 2016.
En 2000, la Communauté de communes de Marie-Galante crée Créole Blues. En 2005 le festival de Marie-Galante devient Terre de Blues.
La communauté de communes de Marie-Galante est créée en 1994 et regroupe les trois communes de l’île : Grand-Bourg, Capesterre et Saint-Louis. Elle est présidée par le Dr Maryse Etzol depuis juin 2015. Au fur et à mesure des éditions, l’événement a prit une très grande importance, tant culturelle qu’économique et politique.
Des artistes au succès international
Nombre d’artistes ayant remporté Grammy Awards, Victoires de la Musique ou encore Hit Lokal Awards composent un plateau prestigieux.
De la machine à tubes au virtuose, l’événement se permet de grands écarts permanents mais néanmoins assez cohérents.
Maceo Parker, Jimmy Cliff, En Vogue, Angélique Kidjo, Damian “Jr Gong” Marley, Kassav, Keziah Jones, Ayo, E.sy Kennenga, Faada Freddy, Faudel ou encore Grupo Compay Segundo ont contribué à la renommée internationale et à l’éclectisme de Terre de Blues.
L’atmosphère de l’habitation Murât change totalement d’un artiste à l’autre. Vainqueur d’un Grammy Award en 2017 pour son album Porcupine Meat à l’âge de 84 ans, Bobby Rush fait valoir un blues puissant dans la plus pure tradition de la Louisiane, alors que le Jamaïcain Sizzla enflamme l’audience avec ses hits reggae et dancehall, pour le plus grand plaisir de ceux qui le découvrent comme des plus érudits, ou que Malika Tirolien, de tout son groove et son aisance, passe aisément de la soul au jazz. Une performance tout en émotion en créole, français et anglais qu’aurait assurément apprécié son mélomane de grand-père, Guy Tirolien, auquel le festival rend un hommage posthume pour son centenaire du 2 au 5 juin 2017.
Un festival à la carte
Le tour de force de l’organisation est d’offrir bon nombre de manières de vivre, le temps du festival.
Vous pouvez être festivalier d’un jour et repartir avec une navette de nuit, séjourner à l’hôtel, chez l’habitant ou encore camper : il y en a pour tous les goûts et tous les budgets.
Mais aussi pour tous les âges. Des animations destinées aux enfants sont réalisées au Vilaj A Timoun (le Village des enfants) ou se déroule le Festival a Timoun (le Festival des enfants).
Terre de Blues offre également un volet intellectuel et historique non négligeable pour cette 18ème édition.
L’un des fils rouges était la représentation, par le biais d’artistes originaires de Marie-Galante, de la Réunion, du Sénégal et du Missouri aux Etats-unis, des villes de Saint-Louis de ces différentes contrées.
Les bons plans sont diffusés avant, pendant et après les festivités sur le site internet officiel de Terre de Blues en cohésion avec l’office du tourisme. Le festival a sa propre émission diffusée sur Youtube avec des extraits de concerts, la découverte du patrimoine culturel marie-galantais et des interviews réalisés par l’actrice/animatrice Karine Pédurand.
Le public du festival est international et les groupes d’amis venant des quatres coins du globe sont légion. Les voisins ne sont pas en reste, Guadeloupéens et Martiniquais formant un contingent non négligeable.
Les avantages de Marie-Galante : sa langue officielle, le français. Sa monnaie, l’euro. L’authenticité de l’île, de ses habitants ainsi que des paysages intacts et préservés.
Les désavantages : le logement. Il y a une telle demande que les habitués réservent leur hébergement une année à l’avance. Cependant, l’espace camping officiel est sécurisé et disponible avec toutes les commodités d’usage sur la plage de Grand-Bourg. Vous devrez aussi vous y prendre tôt pour louer un véhicule. Néanmoins, selon les activités que vous avez prévues et votre logement, il est possible que vous n’en ayez pas besoin. Et au pire, vous pourrez toujours lever le pouce !
Les différents festivaliers de Terre de Blues
On les croise partout : en ville, à la plage, en rase campagne, dans les restaurants ou encore devant les différents podiums. Mais qui sont les festivaliers de Terre de Blues?
Le fêtard : Après les concerts, il part aux afters organisés toute la nuit sur l’île. Il dort la journée et vit la nuit. Il est particulièrement sociable et ne demande qu’à découvrir plus de lieux insolites pour célébrer son séjour.
Le baroudeur : Randonnées et autres activités découverte donneront la possibilité à ce lève-tôt de découvrir un littoral époustouflant et une nature si peu dénaturée par le tourisme de masse, comme le magnifique site de Gueule-Grand-Gouffre à Saint-Louis.
L’authentique : Il apparaît dès les premiers sons des tambours et se joint aux chanteurs et danseurs épris de tradition.
Le gourmet : Nombre de restaurants vous permettront de ne pas changer vos habitudes culinaires. Mais le gourmet se doit de goûter la spécialité locale : le bébélé. Un plat à base de tripes et de bananes vertes. Le nom de ce plat venu d’Afrique signifierait “morceau de viande” en Kikongo, une langue bantoue originaire, en partie, du Congo, de l’Angola et du Gabon.
Entre modernité et tradition
Si les concerts principaux se passent à l’Habitation Murât, les festivités ont lieu sur la totalité du territoire. D’ailleurs, le podium installé sur le parvis de la gare maritime voit le groupe Akiyo Ka se produire pour le léwoz traditionnel d’ouverture du festival et cela, gratuitement.
Né en Guadeloupe à l’époque de l’esclavage, le léwoz était vécu comme un moment de célébration et de relâchement pour les esclaves. Très mal vu pendant longtemps dans la société, celui-ci a pour socle le gwoka, ses 7 rythmes et leurs variantes qui content le quotidien, les joies, le deuil ou l’amour. L’une des particularités de cette musique est que le marqueur, affublé du plus petit tambour, interagit directement avec le danseur, le chanteur et les choeurs.
Depuis le 26 novembre 2014 celui-ci est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Rien de mieux pour s’imprégner de l’âme des Antilles !
Négro-renaissance : Hommage à Guy Tirolien
L’âge de la maturité (18 ans) voit le festival rendre un hommage posthume au poète Guy Tirolien pour son centenaire.
Guy Tirolien fut particulièrement attaché aux combats pour l’émancipation dans les départements ultramarins, en Afrique ou encore aux Etats-Unis.
Né le 13 février 1917 à Pointe-à-Pitre, de parents d’origine marie-galantaise, le poète de la Négritude, tout comme Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold-Sédar Senghor, proclame avec ses camarades la fin d’une soumission et la naissance d’une nouvelle nation nègre*.
Entre 1940 et 1942 il sera fait prisonnier avec Léopold-Sédar Senghor.
Plus tard, il deviendra administrateur des colonies, militant du RDA, ambassadeur de l’ONU en Afrique et participera avec Alioune Diop à la fondation de la maison d’édition Présence Africaine alors qu’il fréquente les milieux étudiants antillais et africains de Paris.
Inspiré par des auteurs tel que Claude Mac Kay et Langston Hugues, le poète brise les chaînes mentales qui empêchent les esprits de s’émanciper.
Ses poèmes parlent de lui, de ses compagnons de lutte, des femmes, des femmes noires ou encore de nos sociétés. Le poème Satchmo bouscule le lecteur au rythme d’un blues swingué entre Noirs lynchés et les rires et soupirs qui jaillissent en mélodie de la trompette de Louis Amstrong.
Black Beauty, Ghetto, Prière d’un petit enfant nègre ou encore Marie-Galante font partie de ses textes les plus populaires.
Ses enfants et petits-enfants perpétuent dignement son héritage.
La plume de l’émancipation de Guy Tirolien marque des générations à l’encre indélébile.
Rendez-vous en 2018
Le succès du festival est dû aux Marie-Galantais, aux festivaliers mais aussi à l’innovation dont fait preuve la Communauté de communes de Marie-Galante et son office du tourisme. Elle implique la population en permettant aux artisans d’exposer leurs produits au Village Caraïbes.
Avec Festi Job, en partenariat avec Pôle Emploi, les partenaires et les professionnels du festival, une centaines d’emplois sont créés pour cette édition, le but étant de former la jeunesse, de découvrir des talents et de faire en sorte que de plus en plus de compétences techniques soit hébergées localement.
Mais comment parler innovation sans évoquer le magnifique mapping vidéo réalisé sur la façade du château Murât : la pénombre était illuminée d’animations et photos qui épousaient parfaitement les courbes et les arêtes de l’éco-musée donnant un relief sublime aux poèmes de Guy Tirolien.
Terre de Blues se pose à la fois comme un laboratoire mais aussi comme un exemple de cohésion à suivre en ce qui concerne les événements d’envergure dans les grandes et petites Antilles. La cohésion entre les organisateurs et le secteur privé doit être réelle pour un échange gagnant-gagnant entre l’économie locale, l’image de la région et les festivaliers.
Rendez-vous donc du 18 au 21 mai 2018 pour la prochaine édition du festival Terres de Blues.
Pour aller plus loin :
Découvrez la vidéo #StreetDiamondEverywhere : Une journée à la 18e édition du festival Terre de Blues
Merci à Kaël Guy Tirolien, Marie-Josée Tirolien-Pharaon.
Source:
*Lire le trimestriel Guadeloupéen Conscience et Culture Nègre Racines n.17 (2008)
associationracines.com
www.terredeblues.com
www.ot-mariegalante.com
www.portail-guadeloupe.com/lewoz-guadeloupe.html
Bonus : une balade au vieux fort de Saint-Louis avec Kael Guy Tirolien à Marie-Galante